La Catharsys.

Après un moment d’abatement, que même les plus exigeants voudront bien nous pardonner, toute l’équipe a mis la main à la pâte pour mettre au plus vite Manoir en sécurité et sauver ce qui pouvait encore l’être.

Ce fut parfois difficile et toujours touchant de démonter pièce par pièce le gréement désormais inutilisable. Mais il faut en passer par là, et c’est aussi une forme de catharsys (purge des passions, en l’occurence, le chagrin) qui est un prélude nécessaire à la renaissance.

Lundi matin, formalités: assurance pas très réactive dans un premier temps, mais après relance téléphonique dans l’après-midi, on a enfin un contact: ils sont en panne de serveur mail (top la poisse quand même…). On obtient le feu vert pour commander une grue pour démâter.

Mais avant tout, il faut démonter la grand-voile. On a réussi à l’affaler avant la catastrophe mais suite à l’effondrement de la bôme sur le toit de la capote, elle traîne en vrac sur le pont. En une petite heure et quelques astuces la plus récente robe de Manoir quitte le bord et se retrouve étalée sur le quai. Inspectée, sans souci majeur constaté, pliée aussi sec et rangée dans son sac (lui-même récupéré dans la soute à voile après une opération « spéléo » sous le merdier à l’avant).

On peut enfin voir la bôme et l’état de la capote rigide. La bôme repose fermement sur le toit et de ce fait, elle repousse vers l’avant la partie verticale du mat ce qui l’empêche de tomber. Et pourtant, les dégâts ont l’air modestes. On ne touche pas plus pour le moment.…

La photo est prise après le dématage.

Suite à la visite du responsable du grutage pour évaluer les travaux, rendez-vous est pris pour le lendemain matin à 10:00. En attendant, il faut préparer leur intervention si on ne veut pas finir de détruire le matériel.

Le pitaine enfile donc la combinaison (eau à 19°C…), on sort le narguilé, les pinces et scies à métaux, et plouf. Il faut détacher les étais du génois et de la trinquette si on veut espérer sortir les voiles de l’eau par l’étrave avant le grutage du mat.

Le plus compliqué est de dégoupiller les étais. Celui du génois ne rend les armes que sous la scie. Le plus délicat est de relâcher les drisses. En effet, elles contribuent à retenir la partie supérieure du mat à sa jonction avec le bout restant (presque) vertical. Prudence donc, mais ça se passe bien, en laissant une manille en place pour bloquer la drisse de génois dans le réa (la poulie de tête de mat).

Bien évidemment, les étais et les voiles enroulées dessus coulent à pic…

Etape suivante, il faut scier les étais à l’étrave, si possible en sauvant les enrouleurs (y en a quand même pour au moins 2000 balles pièces). Là encore, le risque c’est de le prendre dans la figure quand la tension se relâche. Un peu comme quand on coupe un arbre tombé au sol mais dont la souche est encore dans le sol…

On s’y met à 3, et ça se passe plutôt bien. Seul l’étai de trinquette file une gifle au pitaine pour la première blessure due à l’accident. Une égratignure sur le pif…

Ensuite, les Hercules et les Hulks font acte de bravoure. Les Wonder Women et Super Jaimies ne sont pas en reste, et c’est sous les efforts conjugués de nos 24 membres que les 2 voiles roulées sur,les étais et gorgées d’eau sortent par l’avant et rejoignent le quai.

Pour finir, on déroule soigneusement les voiles (les étais sont complètement tordus), et fort heureusement on y parvient sans les abîmer plus.

Comme tout cela est trempé, on s’étale sur le quai tête bêche pour laisser sécher toute la nuit en compagnie du spi (extrait lui aussi lors de l’opération spéléo et retrouvé complètement trempé) les étais quand à eux rejoignent le terre-plein de stockage tout proche.

Après une soirée tapas bien méritée et une vraie nuit de sommeil, on se remet au travail tôt le lendemain matin. Isa, Anne-Cé, Denis et Lilian partent à midi pour passer 2 jours à Barcelone (ils ont bien besoin de vacances…) et on veut profiter encore un peu de leur présence pour faire le maximum.

Avant 10 heures, les 2 voiles d’avant sont pliées et stockées chacune dans un sac. Au total, on a sans doute sauvé toutes les voiles, notamment la GV neuve et le Génois qui n’a qu’une saison.

Puis la grue arrive. On est bien tombés; le chauffeur est sympa, mais surtout il connait son boulot. Il ne parle qu’espagnol, mais on se comprend, et on tombe d’accord sur le process.

Il soulève dans un premier temps la partie supérieure du mat et soulage son poids. Nous pouvons alors détacher prudemment celui-ci du balcon arrière. On avait posé en navigation 3 cordages et une sangle velcro (du type qui sert à retenir le point de bordure sur la bôme). Résultat, c’est cette sangle qui a fait presque tout le travail.

Ensuite, on relâche un à un tous les bloqueurs de drisse (qui effectivement retenaient les 2 pièces ensemble). On coupe ou on dévisse les haubans qui restaient en place sur le pont; et on tranche quelques cables et ficelles ici et là pour bien libérer l’étage supérieur.

Et sans aucun a-coup, le grutier enlève 15m de mat d’un seul bloc et le dépose gentiment sur le terre-plein sur des palettes disposées à l’avance.

Comme on veut sauver la bôme, il accepte de bon coeur de la soulever. Puis il s’en sert comme bélier pour repousser le premier étage du mat à la verticale que nous assurons ensuite avec 2 cordages latéraux (ben oui, y a plus de haubans et au désacouplage il va tomber sur le pont).

Le démontage du vérin de hale-bas, on l’avait déjà fait à Cuba pour réparer un joint spi. alors on souvient qu’il fait juste équilibrer les pressions hydrauliques pour ne pas prendre un second coup sur le nez. Sans souci…

Ces précautions prises, les Hulks reviennent à la tâche et il faut pousser, porter, bouger la bôme pendant que le pitaine démonte les axes de liaison entre bôme et mat. Il ne reste plus qu’à soulever la pièce et à la poser sur le pont côté babord où elle restera jusqu’à Toulon. Et encore un billet de sauvé…

L’étape suivante, qui semblait plus facile, a consisté à soulever les 5m verticaux qui restaient au-dessus du pont. Notre grutier préféré a d’bord fixé son élingue, le plus haut possible, mais pas au-dessus de la moitié… équilibre précaire.

Sur ses consignes, nous avons relâché un à un tous les cordages qui le maintenaient debout, ainsi que les cables électriques qui venaient par dessous de l’intérieur du bateau; jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une petite vis au pied du mat. Et par en-dessous, la déchirure est quasi totale.

Quand celle-ci a cédé sous la traction vers le haut, le mat a voulu basculer à l’horizontale, embarquant au passage notre ami espagnol qui se tenait debout à côté. (Et votre serviteur de l’autre côté… ) Heureusement pour lui, il restait le fil electronique de l’anémomètre. Un oubli qui lui a évité un bain, voire pire.

Une fois cet élément,posé sur le terre-plein, le dernier morceau de 2m à l’intérieur du bateau est sorti à la main. 20 kg, que nous avons juste eu à soulever et à porter à terre. Et voilà Manoir avec une belle aération.

Moins de 2 heures de travail (à peine oserai-je dire), et nous avons pu nous diriger tous ensemble vers la gare pour raccompagner notre équipage d’infortune. Avec fortes embrassades nous nous sommes promis de bientôt naviguer, et pourquoi pas aux Baléares.

Mais dès l’après-midi, nous avons attaqué à 2 le désarmement complet du mat: radar, feux, rail de grand-voile, chariots, rails de tangon, poulies, bloqueurs, réas, tout ce qui est resté en état et a de la valeur est démonté soigneusement, rangé dans des bocaux étiquetés et ramené auprès de Manoir. Les barres de flèches sont désaccouplées du mat, puis démontées pour prendre moins de place, étiquetées pour l’expert.

Au final, seuls les rails au niveau de la rupture sont morts, ainsi que les réas et poulies des 2 voiles d’avant, tordus sous l’eau durant les 7 heures de navigation de retour au port.

Bref, en 3 jours, tout ce qui pouvait être sauvé l’a été. Une nouvelle antenne VHF montée sur le balcon et raccordée à Manoir a permis de récupérer la radio et l’AIS (bien utile quand on a plus de radar…). Les filières remontées en « manouche » ainsi que le bimini arrière. Ca tiendra bien jusqu’à Toulon.

Cathy est rentrée en train pour un rendez-vous de longue date avec ses parents. pour ma part, je poste ce billet en mer, entre Carthagène et Majorque ou un équipier volontaire m’aidera pour traverser le golfe du Lion. 36 heures en solo puis 48 en double.

Merci au passage à Benoît, le papa de Judicaëlle qui s’est porté volontaire. Ce sera notre première rencontre, et c’est original pour faire connaissance, vous ne trouvez pas?

En tout cas, cela nous a fait du bien de pouvoir s’occuper, réagir et sauver tout ce matériel. Reste plus qu’à voir les positions de l’expert et l’assurance…

A bientôt, pour l’arrivée.

One thought on “La Catharsys.”

  1. triste mais utile reportage; merci les amis et bon repos à terre et en famille
    on espère que l’assurance pourra vous permettre de repartir vite que l’on se retrouve vite

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